Un chercheur fabrique volontairement un virus ultra-virulent : Savant fou ou visionnaire ?

Les expériences d'un scientifique japonais, qui a créé une variante du H1N1 très dangereuse pour l'homme, relancent le débat sur la nécessité de créer ces agents infectieux en laboratoire pour mieux les étudier.

Si vous avez vu des films comme Je suis une légende ou joué au jeu vidéoResident Evil, ce scénario vous sera familier : dans le secret de son laboratoire, un scientifique fou fabrique un particulièrement virulent, qui échappe à son créateur et décime l'humanité. La réalité n'a pas encore rattrapé la fiction, mais les lecteurs du quotidien britannique The Independent ont dû avoir des frissons en découvrant la une de ce mercredi 2 juillet 2014 : "Un scientifique recrée un virus qui a tué 500 000 personnes."

Un virus plus dangereux que la grippe A

En cause, le Japonais Yoshihiro Kawaoka, chercheur en virologie à l'université du Wisconsin, aux États-Unis. Le journal révèle qu'il a travaillé dernièrement sur le virus H1N1, aussi connu en France sous le nom de grippe A. Un virus issu de l'oiseau et du porc, plus virulent que la grippe classique, qui s'est propagé dans le monde entier et aurait fait plus de 200 000 victimes dans le monde en 2009. Il circule toujours, mais ne tue presque plus aujourd'hui, notamment parce que nos systèmes immunitaires ont appris à se défendre contre lui.

C'était sans compter sur le professeur Kawaoka. Le Japonais affirme – dans un article à paraître dans une revue scientifique – avoir créé de façon artificielle une version mutante du H1N1, capable d'échapper aux anticorps qui devraient normalement le neutraliser et de résister au vaccin existant. Une découverte qui n'avait pas été rendue publique avant les révélations de The Independent, mais qui aurait "horrifié" une partie des scientifiques devant lesquels Kawaoka a présenté ses conclusions plus tôt cette année. "Il s'est servi d'un virus de la grippe dont on sait qu'il est transmissible à l'homme, et l'a manipulé de telle manière qu'il laisserait la population mondiale sans défense si jamais il s'échappait du laboratoire", s'alarme l'un d'eux.

Objectif : se préparer aux virus de demain

Mais ce n'est pas la première fois que les expériences de Yoshihiro Kawaoka dérangent. En juin, une polémique était née de ses expériences pour recréer la grippe espagnole, qui avait tué entre 50 et 100 millions de personnes en 1918 et 1919, l'épidémie la plus meurtrière de l'histoire. En 2012, il avait réussi a transformer le virus de la grippe aviaire (H5N1) pour le rendre extrêmement contagieux et transmissible d'une espèce à l'autre, donc potentiellement à l'homme. Une méthode tellement simple à reproduire que les conseillers en biosécurité du ministère de la Santé américain ont tenté de censurer sa publication, de peur que des terroristes en fassent une arme biologique.

Si ses expériences évoquent plutôt le plan machiavélique d'un méchant deJames Bond, le professeur Kawaoka défend l'utilité de son travail. Son étude aurait atteint son but : identifier les caractéristiques du virus qui pourraient lui permettre d'échapper au système immunitaire, et ainsi créer des vaccins plus efficaces. En somme, Kawaoka veut anticiper, en les reproduisant dans son laboratoire, les possibles mutations naturelles de virus d'origine animale comme le H1N1, qui pourraient devenir une menace pour l'homme.

Pour John Oxford, professeur en virologie interrogé par le Guardian (en anglais), ces souches mutantes ne pas une simple hypothèse, mais un réel problème : "Elles existent sans doute quelque part. Probablement chez un canard en Sibérie, heureusement pour nous, mais si par hasard elles se rapprochaient, nous serions en danger." D'où l'urgence de s'y préparer. Les expériences de Kawaoka sur le virus proche de la grippe espagnole ont ainsi permis de déterminer qu'il serait vulnérable à des traitements existants, comme le vaccin contre la grippe A ou le médicament Tamiflu. "Ce sont des informations importantes pour ceux qui sont chargés de surveiller et de se préparer à des pandémies" a expliqué le scientifique japonais au Guardian.

Problème : la sécurité défaillante de certains laboratoires 

Le professeur Kawaoka n'est, en outre, pas le seul chercheur à manipuler des virus très dangereux en laboratoire. Dans son histoire, la médecine a régulièrement développé des traitements utilisant des virus parfois meurtriers. En 2012, une équipe américaine est parvenue à guérir une fillette leucémique en lui inoculant des cellules inoffensives du VIH, le virus du sida. L'immunothérapie, qui stimule le système immunitaire par l'introduction de virus parfois dangereux, est devenue un traitement courant pour certains cancers, et une branche de la médecine en plein développement.

Mais la méthode utilisée par Kawaoka inquiète certains observateurs. Si l'étude du scientifique japonais a été validée par le Comité de biosécurité du Wisconsin, des membres de ce comité interrogés par The Independent estiment qu'il a été volontairement flou sur son intention de créer un virus aussi dangereux. Autre détail troublant : alors que l'université du Wisconsin dispose d'un laboratoire d'un niveau 3 de sécurité, ou P3 (sur une échelle de 4, le niveau le plus élevé étant réservé aux virus qui n'ont pas de remède connu), Kawaoka a choisi de n'utiliser qu'un laboratoire P2.

De quoi donner du grain à moudre à ses opposants, qui estiment qu'aucune étude ne justifie de prendre de tels risques. "Quand le résultat potentiel est une pandémie, même un risque minime doit être fortement considéré",explique l'épidémiologiste américain Marc Lipsitch. Lui et d'autres chercheurs de Harvard et de Yale ont calculé que, en prenant dix laboratoires menant ce type d'expériences pendant dix ans, la probabilité qu'une personne soit infectée était de 20%. Selon eux, une simple observation des virus présents dans la nature suffirait à se préparer à leurs évolutions futures.

Il faut dire qu'il existe quelques précédents d'accidents, au-delà du cinéma. Les experts pensent aujourd'hui qu'une souche de grippe aviaire ressurgie mystérieusement en 1977 s'était en fait échappée d'un laboratoire. Le Laboratoire des maladies infectieuses émergentes d'Atlanta (Géorgie, États-Unis) a, pour sa part, été le théâtre d'incidents inquiétants en 2009 et 2010. Notamment l'intrusion d'une personne non autorisée ou encore des portes restées ouvertes dans des laboratoires censés être très protégés, contenant des maladies comme la variole ou l'anthrax (la maladie du charbon). Même la France n'est pas épargnée : en avril 2014, l'Institut Pasteur a égaré 3000 tubes contenant le virus du Sras, une autre maladie respiratoire dangereuse. L'institution a assuré que le potentiel infectieux était "nul", mais l'incident reste inexpliqué.

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Source : Francetv InfoPar Louis Boy, le 02.07.2014

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